Texte de Juliette
C’est pour offrir ?
– Oui.
C’est pour la femme qui m’a sauvé la vie.
– Mais qui est-ce ?
– Comment ?
Vous ne la connaissez donc pas ?
C’est une femme, c’est une déesse
L’étoile du matin qui guide mes pas
Elle est l’être démiurge né du chaos originel
Mythologie perdue, au fond des mines d’or
Éclatées des premières étoiles
Et des premières lumières des rideaux du Nord
Tout son être est beauté, force et équilibre
Laissez-moi vous conter
L’Histoire qu’elle laisse flotter autour d’elle
Dans son aura chatoyante qu’elle répand comme du pollen
Dans son champ de fleurs aux pétales cristalisés
Dont les tiges sont des rayons de miel.
Le premier jour de ma naissance
Dans un tumulte de haine brûlante
Elle plongea dans mes yeux, et en versa les larmes
Plus salées que les rochers portuaires du Sud
Sur lesquels je sautillais
Dans mon enfance joyeuse.
Le deuxième jour de ma naissance
Elle vit mes cheveux arrachés flotter sur l’eau
Ils appartenaient à ma gorge haletante et fière de respirer
Et terrifiée à l’idée de perdre la force
Qui m’empêchait de sombrer.
Elle créa alors des berges remplies de sable
Et c’est les mains en sang que je m’y accrochai.
Le troisième jour de ma naissance
Alors que la nuit tombait sur la plage
La déesse eut peur que je ne sache parler
Elle créa le bruit, qu’elle blottit dans ma chair
Et dans les courants, les océans et la mer.
Elle eut si peur de me voir muette
Qu’invisible elle me frappa jusqu’au sang
Juste pour m’entendre hurler.
Le quatrième jour de ma naissance
Elle dessina le monde pour mieux m’y contempler
Elle souhaita enivrer le paysage
Pour qu’il me soit ajusté
De ses yeux d’agate jaillit l’aube sacrée, espoir éternel
De ses mains elle sépara le ciel de la terre
Éclata les tombeaux qui n’avaient plus lieu d’être
Et de ses pieds capricieux
Donna vie au soleil.
Le cinquième jour de ma naissance
Elle jugea son œuvre inachevée
Et ses doigts firent jaillir de la terre
Les plantes, les animaux, et des forêts fruitières
Un monde d’herbes folles tressées en couronne
À l’image du laurier d’or qui trône sur ses cheveux
D’où coulèrent cent lacs
Et mille rivières.
De sa beauté totale
Naquit un univers luxuriant.
Le sixième jour de ma naissance
Me voyant maîtresse de cette terre nouvelle
Qu’elle avait forgée juste pour moi
Elle fit sortir des bois des enfants perdus
“Ils sont à ton image, c’est à toi de les aimer” me lança-t-elle
Et c’est ainsi que ma terre
Se peupla d’êtres adorés
Un univers d’âmes lumineuses
Qui formèrent les constellations de ma nuit
Et me donnèrent assez de courage
Pour affronter les monstres de minuit.
Le septième jour de ma naissance
Alors que de ma fenêtre, je contemplais le ciel
Elle vint à moi et me dit
Que son travail ici-bas était terminé
Il était temps pour elle
De retourner sous son propre ciel d’été
Je compris dans un long sanglot ému
Qui résonna dans son sourire plus doux que la vie
Que ses paroles m’avaient livré son dernier présent
La Liberté
Il était temps pour la déesse pétrie d’or et de fleurs
De finalement se reposer.
Et moi je pleure éternellement sur son épaule souple
Parce qu’on ne console pas du bonheur
Celui qui fait trembloter les lèvres tendues par la joie
Et qui relève les parents endeuillés.
On ne se relève pas du plaisir de vivre
La vie brute, libre, l’existence vive
On ne se relève pas de bonheur non,
On s’y étend et on l’étreint
Et on l’embrasse, et on le chérit.
Sur tous les chemins où chaque jour d’avantage
Je marche en amour et en sécurité
Je sais que c’est elle qui les a façonnés.
Son nom est Marie-Eve
À la voix des ruisseaux et à la beauté des rêves
Et comme les deux créatrices après lesquelles on l’a nommée
D’elle et d’elles sont nés
L’amour, la rédemption, la beauté.
Marie-Eve comment vous dire
Avec assez de mots
Que je suis née une seconde fois sous votre regard de mère
Alors que les mots ne suffisent pas et ne suffiront jamais ?
Vous avez pris ma haine dans vos bras de sculptrice
Et vous en avez fait un brasier comme aux temps anciens
Vous savez
Quand les païens dansaient autour des feux nocturnes qui les exaltaient
Et qu’ils vouaient à la Créatrice,
Rose des vents et étoile,
Qui les avait enfantés.
À jamais ce feu me réchauffera sans me brûler
Et à jamais je vous le dédierai.
Marie-Eve,
Pour tous les cris qui ont fait renaître mes mots,
Merci
Pour tous les pleurs qui ont lavé mes os
Merci
Pour toutes les cordes raides que j’ai coupées
Merci
Pour tous les rubans d’or que j’ai ouverts
Merci
Pour le sourire incertain de mon père
Merci
Pour la lumière dans les yeux de ma mère
Merci
Vous suffisez à vous seule à justifier la valeur de l’humanité
Pour tout ce que vous êtes
Et pour tout ce que vous serez
Marie-Eve ;
Merci.
Juliette
le 5 avril 2017






